Marc Ponroy
« Nos têtes pensantes »

Rencontre avec Marc Ponroy – Vers l’agriculture de conservation.

Aujourd’hui, nous rencontrons Marc Ponroy, agriculteur et youtubeur en Normandie. Nous aborderons différents sujets : l’agriculture de conservation, son expérience dans la transition d’agriculture conventionnelle vers une agriculture de conservation, les enjeux écologiques et l’accompagnement des technologies.
Lauriane : Bonjour Marc ! Je te laisse te présenter !
Marc : Bonjour, donc je m’appelle Marc Ponroy, j’ai 23 ans et je suis agriculteur et Youtubeur! Pour le moment, je suis agriculteur salarié sur l’exploitation familiale depuis 2019 et j’ai un projet d’installation incessamment sous peu, d’ici un ou deux ans, le temps de faire toutes les démarches et les formations obligatoires !
Lauriane : Peux-tu un peu nous parler de ton parcours scolaire ? Qu’est-ce que tu as fait avant de devenir salarié à la ferme ?
Marc : J’ai eu un bac scientifique au lycée général et j’ai ensuite intégré un BTS agronomie production végétale. À la fin du BTS, j’ai effectué un stage de 6 mois chez Corteva, qui est le troisième producteur mondial de phyto. J’étais en R&D (recherches et développement), en expérimentation, sur des produits qui répondent à la problématique du blé. On réalisait des tests sur des microparcelles de blé, pour de la recherche.
Lauriane : Et ça t’a plu ?
Marc : Oui c’était une super expérience, j’ai développé pas mal de connaissances en agronomie et ça a complété ce que j’avais pu apprendre en BTS. Ce stage et cette formation sont un vrai plus, mais je me suis rendu compte que j’avais vraiment envie de retourner travailler à la ferme, sur l’exploitation familiale.
Lauriane : Oui, je comprends ! Parle-nous un peu de l’exploitation !
Marc : En 1952, mon grand-père est arrivé avec sa mère et a démarré une exploitation de polyculture et d’élevage. Il avait des taurillons et des vaches laitières.
Lorsque mon père l’a rejoint sur l’exploitation et s’est installé avec lui, ils ont diminué peu à peu les vaches laitières, jusqu’à l’arrêt total de ce type d’élevage.
En 2000, avec la crise de la vache folle, la production de taurillons a été divisée par deux. Et en 2018, nous avons totalement arrêté l’élevage.
L’exploitation est désormais uniquement céréalière sur une SAU (surface agricole utile) de 130 hectares : 110 hectares de labour et 20 hectares de prairies.
En parallèle, nous avons développé une activité de travaux agricoles (nous faisons du travail à façon pour certaines fermes, moissons, semis, etc.).
L’élevage, c’est beaucoup de travail, c’est un métier complètement différent de celui de céréalier.
Lauriane : D’accord, donc l’exploitation est dans ta famille depuis pas mal de temps maintenant, la passion agricole se transmet de génération en génération !
J’aimerais maintenant aborder avec toi, différents modes d’agriculture. Aujourd’hui, tu as une chaîne YouTube “Marc vers l’agriculture de conservation”. Le “vers” nous indique que ce n’est pas votre mode d’agriculture actuel. Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus à ce sujet ?
Marc : Oui, alors, actuellement, nous sommes dans une agriculture dite raisonnée. C’est-à-dire que nous portons une attention particulière à notre IFT (Indice de Fréquence de Traitement). Nous essayons au maximum d’utiliser moins de traitement que la dose homologuée d’un produit pour avoir un impact phytosanitaire plus faible. On réduit le travail des sols, on essaye de faire moins de mécanisation, etc… Donc effectivement, à ce jour, on est plutôt dans une agriculture raisonnée, mais nous avons la volonté d’aller vers l’agriculture de conservation.
Lauriane : D’accord, donc vous essayez au maximum de prendre en compte les problèmes environnementaux en adaptant vos actions agricoles. C’est très intéressant, parce que c’est vrai que nous sommes peu à connaître les différents modes d’agriculture et que souvent, dans la tête des consommateurs, l’agriculture biologique est la seule réponse alors qu’il existe différents modes qui tentent de répondre aux enjeux environnementaux.
Peux-tu maintenant nous présenter ce qu’est l’agriculture de conservation ?
Marc : Je vais essayer de faire simple… L’agriculture de conservation a pour but d’augmenter l’auto-fertilité de nos sols.
Dans un mode d’agriculture “classique”, chaque année, via nos cultures, nous exportons de la matière sans en rapporter. Donc, nous épuisons nos sols. Pour conserver nos sols, il faut apporter énormément de nourriture, et créer une symbiose dans nos sols.
Un sol, c’est comme un moteur, qui va alimenter les plantes. Ce moteur, pour qu’il fonctionne, il faut lui donner de l’essence, donc pour nos sols : des couverts végétaux, du fumier, et l’arme de transmission entre l’essence et le moteur, c’est la vie microbienne : les vers de terre, les champignons, etc…

Pour atteindre cet objectif d’auto-fertilité et de cercle vertueux, il faut passer par trois/quatre leviers :

  • La diminution du travail du sol (voire si possible, plus du tout de travail de sol, car le labour bouleverse énormément la terre et mélange tout. Elle tue toute la vie microbienne, et génère jusqu’à 320 T de CO2 par hectare. Avec le temps, le sol devient de plus en plus friable et se transforme en sable. Au bout de 50 ans, il n’est plus exploitable.)
  • La couverture permanente du sol (en interculture, donc entre deux cultures, on essaye de semer un couvert pour ne pas laisser le sol nu. Le but est que le sol soit toujours couvert. Une fois développé, le couvert pourra nourrir le sol en apportant de l’azote, de la matière organique, du carbone, de l’humus…)
  • La rotation des cultures (éviter la culture intensive et de la monoculture pour ne pas épuiser les mêmes choses dans le sol), en alternant les cultures, on apporte les éléments positifs pour les cultures suivantes et cela devient un cercle vertueux.
  • La réduction de l’IFT (Indice de Fréquence de Traitement).
Lauriane : Est-ce qu’il y a des conditions particulières pour mettre en place une agriculture de conservation ?
Marc : Déjà, il faut que l’agriculteur en ait envie. Il faut qu’il se remette en question sur son mode d’agriculture actuel. Ce n’est pas toujours évident car, pourquoi changer un mode d’agriculture qui fonctionne depuis 50-60 ans ? On s’est rendu compte que dans certains pays, les agriculteurs ne s’étaient jamais remis en question et ont épuisé leurs sols, la production ne se faisait plus et c’est devenu un désert. Tant qu’on n’est pas confronté au problème, on ne se remet pas en question. L’idée avec l’agriculture de conservation, c’est d’agir avant d’être confronté au problème.
De mon point de vue, quand un agriculteur a des terres composées à 60 % d’argile (terres qui sont dures, où le complexe argilo-humique est très lié, qui sont détrempées dès qu’il pleut et qui s’assèchent très rapidement ensuite), mettre en place des couverts dans ce type de culture, c’est faisable mais plus compliqué.
Il faut être très pragmatique quand on se lance dans ce changement, quand on a du mal avec le semi-direct par exemple, on peut revenir en arrière quelque temps pour mieux rebondir après.
Lauriane : J’imagine que c’est un changement qui s’opère sur le long terme. En combien de temps peut-on passer totalement à une agriculture de conservation ?
Marc : C’est une inertie qui est très longue à mettre en place, effectivement, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Premièrement, parce qu’on est très peu conseillé pour ce genre d’agriculture, on « tâtonne » énormément. On met donc en place des essais chez nous, à la ferme. Par exemple, du jour au lendemain, on va essayer les inter-cultures, et voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Les premières années, ne plus travailler le sol, ça fait peur donc il faut aussi être prêt mentalement à opérer ce changement. En fonction des résultats, on essaye autre chose ou bien, on passe un test réussi à plus grande échelle. Parfois, on tombe sur des échecs, et la cause de l’échec n’est pas toujours de notre ressort, la météo joue beaucoup. Certaines fois, on met en place des essais et on se rend finalement compte qu’à ce moment-là, la météo n’était pas en adéquation avec ce type d’agriculture. Ça prend beaucoup de temps car nous n’avons pas de techniciens derrière nous pour nous donner les clés. Il faut apprendre seul et faire ses tests.
En agriculture conventionnelle, nous avons des techniciens qui viennent environ une fois par mois sur nos champs et qui nous conseillent sur tout. Des conseillers en agriculture de conservation, ça n’existe pas vraiment.
Lauriane : Face à ce manque d’accompagnement, où trouves-tu les informations nécessaires à la mise en place de l’agriculture de conservation ?
Marc : Je trouve essentiellement les informations utiles lors des formations, notamment avec ver de terre production, ou bien grâce à des agriculteurs aguerris sur ce sujet, qui nous expliquent de manière technique, les procédés concrets qui peuvent être mis en place.
Ces formations sont très intéressantes mais spécifiques à des conditions climatiques, des types de cultures etc. Il n’y a pas de suivi derrière et les conseils ne sont pas toujours applicables sur nos sols si toutes les conditions ne sont pas réunies. On en revient donc à faire nos tests.
Avec d’autres agriculteurs, nous avons créé une association (AAA : Action, Agronomie, Avenir : https://www.action-agronomie-avenir.fr/association-aaa) et de temps en temps, nous allons visiter la parcelle d’un agriculteur membre de l’association, pour observer une réaction à un des tests qu’il a effectués.
Il faut se mettre à plusieurs car tout seul, c’est compliqué et ça peut être décourageant.
Lauriane : D’accord, donc un agriculteur souhaitant se tourner vers l’agriculture de conservation doit être en demande, on ne viendra pas le chercher pour l’aider à se former. Et penses-tu que les technologies peuvent vous accompagner sur ces changements de pratiques ?
Marc : Oui bien sûr, par exemple votre solution AliaTerra, ça peut totalement nous aider à mieux gérer nos cultures et à les réussir.
Quand nos cultures sont réussies, c’est plus facile d’opérer un changement dans certaines pratiques. Quand on sait qu’un semis va être réussi, on peut se permettre à côté de prendre des risques et faire des essais. Typiquement, vos capteurs sols permettent de savoir exactement quand le sol est réchauffé et nous aident à déterminer quand il nous est possible de semer notre maïs, on est sûr de réussir notre implantation.
De manière générale, les technologies nous accompagnent et sont une super aide : les GPS dans le tracteur, l’autoguidage, les satellites qui nous donnent l’azote déjà absorbé par la culture, etc. Ça nous fait ça en moins à gérer et nous permet de nous focaliser sur autre chose.
Lauriane : Il existe beaucoup de modes d’agriculture, pourquoi as-tu choisi celui-ci en particulier ?
Marc : Depuis plusieurs années, avant même que je sois salarié à la ferme, mon père diminuait le travail des sols et s’intéressait à la problématique d’épuisement des sols. Il avait déjà entrepris ce changement, sans trop mettre de mots dessus.
Pendant mon BTS, j’ai rencontré un agriculteur qui mettait ce mode d’agriculture en place sur son exploitation et il m’a sensibilisé à cette pratique. On a alors commencé à faire les formations avec ver de terre production et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment remis en question l’agriculture conventionnelle, dans laquelle on était à l’époque.
Lauriane : Et depuis la mise en place des premiers changements, rencontrez-vous des difficultés particulières ?
Marc : Oui, clairement, comme je le mentionnais précédemment, le manque d’accompagnement est un vrai frein. Nos essais conduisent souvent à des échecs car il faut apprendre seul, en testant. Bon, même si nos échecs nous permettent de savoir ce qui ne fonctionne pas et donc d’éliminer certaines pratiques, ça nous alourdit le travail. Les principaux facteurs limitants sont les conditions des sols et la météo. C’est difficile, mais l’agriculture de conservation a aussi pour but de limiter les gros risques engendrés par des climats extrêmes. Par exemple, dans des sols limoneux (ce sont des sols très battants donc dès qu’il pleut, le sol va partir avec l’eau et se retrouver dans la chaussée. Sachant qu’il n’y a qu’un mètre de bonne terre, une fois l’érosion, il n’y a plus rien), au lieu de labourer et d’avoir des sols nus, l’hiver on peut couvrir avec une plante qui maintiendra le sol avec ses racines, qui auront pour effet de créer des galeries, propices aux vers de terre, qui feront à leur tour des galeries et tout cela permettra à l’eau d’être drainée.
Lauriane : Oui, effectivement on en revient toujours à ce problème de manque d’accompagnement pendant ce changement. Il faut être patient ! Tu nous parlais tout à l’heure de réduction d’IFT, de préservation des sols, de maintien des vies microbiennes, etc…Selon toi, l’agriculture de conservation s’inscrit dans l’agroécologie ?
Marc : Oui, car l’agriculture de conservation nous permet de produire autant que l’agriculture conventionnelle, en ayant moins de risques de pertes que dans l’agriculture biologique, tout en réduisant notre impact (moins de rejet de CO2, baisse de l’IFT, plus de recours à l’utilisation d’insecticides sur notre exploitation, fongicides divisés par deux). Tout cela s’inscrit dans la préservation de nos terres et l’entretien de ses richesses.
Lauriane : Et par rapport à la population mondiale qui ne cesse de croître, la nouvelle génération des agriculteurs ressent-elle une plus forte pression que la génération précédente ? On nous parle de l’agriculture de demain qui devra multiplier ses rendements par 2…
Marc : Oui, totalement, on est challengés. Avec mon père, on doit faire face à des confrontations ces dernières années, qu’on n’avait pas avant. Il y a une fracture entre le monde urbain et le monde agricole parce qu’à l’époque, tout le monde avait un proche qui était du milieu agricole, 70 % de la population était dans les campagnes et 30 % à la ville. Aujourd’hui, ce rapport est totalement inversé. Ma chaîne YouTube est aussi là pour faire connaître ce métier, ce mode de vie. Aujourd’hui, quand les gens vont au fast-food, ils reçoivent leur nourriture très rapidement et ils ne s’imaginent pas le travail qu’il y a derrière : le pain, la viande, la salade, la tomate, le fromage… Tout ça, ce sont les agriculteurs ! Il faut répondre rapidement aux exigences de plus en plus élevées d’une population qui ne cesse d’augmenter !
Lauriane : Pour conclure sur notre note un peu plus légère, je te propose de nous parler de ta chaîne YouTube ! Pourquoi as-tu eu envie de te lancer ?
Marc : J’ai toujours plus ou moins filmé ma vie, je faisais des petits montages pour moi, ma famille, etc. Et un matin, je me suis dit “fais un montage un peu plus qualitatif et mets-le sur YouTube !”. À ce moment-là, il n’y avait pas vraiment d’agriculteur qui expliquait ce qu’est l’agriculture de conservation donc j’ai voulu me lancer ! Les gens ont bien aimé et aujourd’hui, je suis arrivée là où j’en suis ! J’ai vraiment la volonté de vulgariser ce qu’est l’agriculture aujourd’hui, pour que les gens se rendent compte de notre quotidien et que cette fracture entre le monde agricole et le monde urbain diminue.
Lauriane : Merci beaucoup Marc pour ce moment, je te dis à très bientôt !